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Malgré le passage des ans et l’inauguration d’une nouvelle ère depuis 1999, certains cercles du pouvoir restent braqués dans les mêmes logiques.
C’est un jour de l’année 1991 que feu Abraham Serfaty apprit de la bouche de ses geôliers de la prison civile de la ville de Kénitra que le roi Hassan II avait décidé de le gracier; le plus célèbre prisonnier politique marocain de son temps allait donc enfin, après quelque 17 ans passés dans les oubliettes du défunt Souverain, goûter à la liberté. On lui proposa même, à sa sortie, de l’escorter, et on affréta à ce titre une voiture. Bien pouvait en prendre à ces messieurs! En cours de route, Serfaty se rendit cependant compte, à un moment, qu’on était en train non de l’emmener à son domicile ou quelque lieu où il pouvait momentanément séjourner mais à l’aéroport. Devinez quoi? Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Driss Basri, lui avait trouvé une lointaine ascendance brésilienne et, sur cette base, avait décidé de l’expulser derechef du territoire. On aura tout vu.
Pourquoi cette anecdote? Deux raisons m’ont incité à la reprendre. D’abord, parce qu’elle renvoie à la brûlante actualité du moment, puisque voilà encore des activistes, en l’occurrence rifains, qui sont publiquement lynchés parce qu’ils seraient séparatistes -quand on ne peut vous nier votre marocanité, on vous accuse de vouloir vous-même la rejeter. Ensuite, et ceci explique finalement cela, parce qu’elle renseigne sur le fait que malgré le passage des ans et l’inauguration d’une nouvelle ère depuis 1999 et l’accession au trône de Mohammed VI, certains cercles du pouvoir restent braqués dans les mêmes logiques et les mêmes méthodes comme l’ancien porte-parole du Palais royal, Hassan Aourid, le critique dans l’interview qu’il nous a accordée.
En tant que Rifain, j’ai sans doute vécu les événements de la ville d’Al Hoceima un peu trop passionnément. Bien que mes grands-parents aient quitté le Rif depuis la fameuse année de la faim qu’évoque notamment l’écrivain Mohamed Choukri dans son roman le Pain nu, je me suis toujours identifié à la région. Quand les occasions se sont d’ailleurs présentées, je n’ai jamais manqué de m’y rendre, et j’ai pu de visu constater la marginalisation dont fait l’objet la population locale et qu’à juste titre conteste la Mouvance populaire rifaine. En même temps, je garde le souvenir d’une population patriote et qui, au péril de sa vie, a souventes fois au cours de l’histoire pris les armes pour défendre son pays. Ceci pour dire que j’ai été profondément navré par les délires gouvernementaux à propos de velléités séparatistes de la part des Rifains.
«Le jour où le crime se pare des dépouilles de l’innocence, par un curieux renversement qui est propre à notre temps, c’est l’innocence qui est sommée de fournir ses justifications», écrivait, dans son essai L’Homme révolté, l’écrivain Albert Camus. A cet égard et contrairement aux comités de la Mouvance populaire rifaine, je pense qu’il est inutile de se justifier sur ses véritables intentions. Les côtes rifaines sont là pour témoigner des épopées des pirates Ibaqoyen pour contrer l’impérialisme espagnol. Anoual, non loin d’Al Hoceima, du sacrifice des hommes de l’émir guérillero Mohamed ben Abdelkrim El Khattabi pour la mère patrie. Plus au sud, Aknoul, de l’engagement rifain dans l’Armée de libération nationale (ALN) face aux forces coloniales du protectorat. Et j’en passerai encore.
Au risque de paraître plus royaliste que le Roi, je suis convaincu de la bonne volonté de Mohammed VI de réconcilier les Rifains avec l’État. Depuis 1999, il n’a jamais manqué d’entourer le Rif de sa sollicitude, et dans la mesure du possible, il a fait en sorte de développer la région, à travers notamment le programme “Al-Hoceïma, phare de la mer Méditerranée”, pour ne citer que l’ultime projet en cours. Certains pôles de l’administration doivent cela dit suivre.
Ce n’est, “definitely”, pas en arrêtant des activistes et en les taxant de tous les maux (de servir notamment des agendas chiites, pour reprendre l’illuminé président du Centre maghrébin pour les études sur la sécurité et l’analyse des politiques, Abderrahim Manar Slimi) que l’on va certainement aider à panser les plaies.
Plus Marocain que moi...
- par Wissam El Bouzdaini
- 01-06-2017
- Edito