LA PROTESTATION DU FOND DES GROTTES

Abdellatif Mansour

AU 21ÈME SIÈCLE, RETOUR À L’ÂGE DES CAVERNES, EN GUISE DE TOIT, POUR SE FAIRE ENTENDRE.

Assurément, rien n’est suffisamment démonstratif, mais néanmoins réel pour attirer l’attention des pouvoirs publics et de leurs relais locaux. C’est probablement la raison pour laquelle une famille a choisi une grotte pour logement, à Amzala, dans la région de Midelt. Une commune rurale à flanc de montagne du Moyen Atlas et de leur relief perturbé. Ils y ont emporté femmes, enfants et le peu de bagages dont ils disposent. Justement, les enfants, qui font partie malgré eux de cette équipée, ont certainement la tête ailleurs que du côté des bancs de l’école, un peu plus chauffés que la grotte, ne serait-ce que grâce aux classes surchargées qui gagnent en chaleur humaine. Comme quoi la scolarité obligatoire, en passant sous silence les conditions de vie qui vont avec, n’est rien d’autre que du bla-bla politicien.

Il n’y a pas longtemps, nous avions relaté, sur ces mêmes colonnes, la réalité permanente d’une famille auto-logée dans des toilettes publiques, avec un enfant de bas âge au regard intenable sur les bras. À ce propos, une digression qui vaut le détour. Tout récemment, la communauté urbaine de ce monstre déshumanisé qu’est Casablanca a inauguré un réseau de toilettes publiques post indépendance, que l’on verrouille à double tour pour empêcher des maraudeurs sdf d’y élire logis nocturne.

Mais revenons à nos amis de la grotte. Tout indique qu’ils ont innové en matière de mode de protestation et de dénonciation d’une situation intolérable. C’est précisément cet aspect qui est prestement demandé à un mouvement syndical qui n’arrive pas à développer d’autres outils opératoires de contestation, de revendication, de pression et de proposition. Les hommes de la grotte nous disent que la militance à l’ancienne ne paye plus; sinon beaucoup moins que par le passé. Rien ne vaut une démonstration publique où l’on paye de sa personne sans en référer à une hiérarchie où l’on se paye de mots.

Jusqu’à présent, les manifestations de taille conséquente se déroulaient à l’air libre. Il en va de même pour les contestations à petite échelle, par exemple, une famille barricadée derrière une banderole dénonçant une mesure d’expulsion. Toutes ces actions à caractère social se déroulent à ciel ouvert sans garantie aucune de se faire entendre. Par contre, rendre sa voix audible depuis une grotte, c’est d’une nouveauté extrême. À reculons, par un saut de puces à travers les âges. Si ce n’était qu’ un pas en arrière pour un grand bond en avant, pourquoi pas? Il n’est pas exclu que les tréfonds du sous-sol soient plus acoustiques et bien meilleurs porteurs d’une voix du tiers état que les surfaces désespérément plates.

C’est en tout cas ce que révèle l’histoire troglodyte qui justifie ce propos. Les autorités locales ont finalement répondu à l’appel des mouvements associatifs. C’est presque gain de cause pour ces dénonciateurs venus des profondeurs. Une expérience qui devrait faire école chez les leaders d’opinion qui n’ont pas peur de perdre pied, par une descente abrupte vers leurs troupes. Ils ne sont pas nombreux.

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