Les quatre vérités de Chaouki Benyoub

Rapport du délégué interministériel sur les événements d'Al Hoceima

Que l’on partage les conclusions de son équipe ou pas, on peut du moins créditer M. Benyoub d’avoir accepté de s’attaquer à un sujet qu’il sait, sans doute, épineux.

À peine le délégué interministériel aux Droits de l’Homme, Ahmed Chaouki Benyoub, avait-il publié son rapport sur «les événements d’Al Hoceima et la protection des droits de l’Homme» -intitulé du document qu’il a présenté le 4 juillet 2019 au siège de l’agence Maghreb arabe presse (MAP) à Rabat- qu’ils s’attirait des foudres… au sein même du gouvernement. En cause, ses déclarations à l’émission Confidences de presse sur la chaîne 2M, dont le présentateur Abdellah Tourabi l’avait convié à s’exprimer le 7 juillet justement au sujet dudit rapport, affirmant que le ministre d’Etat chargé des Droits de l’Homme, Mustapha Ramid, avait été préalablement mis au parfum.

Or, M. Benyoub était bien obligé, dès le lendemain, de faire machine arrière par le truchement de la page Facebook de la délégation interministérielle aux Droits de l’Homme après s’être, selon le bruit qui court, fait remonter les bretelles par M. Ramid, qui n’aurait en fait découvert le rapport qu’après coup, comme tout le monde. Mais aussi virulentes qu’ont dû être les protestations de M. Ramid, elles doivent demeurer, en dernier ressort, bien amènes au regard des critiques, celles-là publiques, essuyées par le rapport de la part de la communauté de défense des droits humains au Maroc.

Critiques publiques
Dans une déclaration aux médias, le président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), Aziz Ghali, l’a même qualifié de «gribouillis». En substance, M. Benyoub est accusé d’avoir cautionné la version de l’Etat, pour ne pas dire des services de sécurité, dans la gestion des événements d’Al Hoceima, qui pour rappel s’étaient déclenchés en octobre 2016 après qu’un poissonnier de la ville a été écrabouillé par un camion de ramassage d’ordures pendant qu’il tentait de récupérer sa marchandise saisie par la police et qui s’étaient conclus quelques mois plus tard par l’arrestation des principaux meneurs du mouvement de protestation né dans leur sillage, à savoir le Hirak ach-chaâbi. A cet égard, le délégué interministériel et les personnes qui l’ont aidé à rédiger son rapport sont d’avis que les autorités n’ont usé de la force qu’après que celles-ci se soient retrouvées face à des troubles à l’ordre public. Pour preuve, citent-ils, pas moins de 500 manifestations et sit-ins ont, pendant cinq mois, pu être tenus, sans intervention pour y mettre fin.

De même, aucun cas de violence n’a, selon M. Benyoub, été avéré, excepté celui concernant le leader du Hirak ach-chaâbi, Nasser Zafzafi, et qui s’explique, poursuit la même source, par la «violente résistance» de ce dernier pendant son arrestation; ce qui lui avait valu des blessures à la tête, à l’oeil et dans le bas du dos -comme l’avait, en outre, montré une vidéo révélée le 10 juillet 2017 par le journal électronique Barlamane, et dont la diffusion avait à l’époque suscité de nombreuses critiques, dont celles du propre M. Ramid sur sa page Facebook. Justement, M. Zafzafi, par la voix de son père Ahmed Zafzafi, qui par ailleurs préside l’association Thafra réunissant les familles des détenus du Hirak ach-chaâbi, a également vivement réagi au rapport de M. Benyoub en l’accusant d’«ajoute[r] à la blessure de la mémoire collective» non seulement à Al Hoceima, mais dans toute la région du Rif, dont la répression subie à la fin des années 1950 par le pouvoir central continue encore d’être invoquée par la population. Seul point d’accord véritable entre M. Benyoub et ses détracteurs, la position de l’intéressé contre les accusations de séparatisme portées par les partis de la majorité, lors de leur réunion du 15 mai 2017 au siège du ministère de l’Intérieur à Rabat, à l’endroit des activistes du Hirak et de ses sympathisants.

“Blessure de la mémoire collective”
Accusations avec lesquelles, pour rappel, le chef du gouvernement lui-même, Saâd Eddine El Othmani, avait pris ses distances lors de l’interview qu’il avait accordée aux médias audiovisuels publics le 1er juillet 2017. M. Benyoub pouvait-il, de toute façon, contenter et les uns et les autres? Et cela aurait-il été, finalement, souhaitable? On connaît le parcours de l’homme, vice-président de l’Organisation marocaine des droits de l’Homme (OMDH) entre 1999 et 2004, puis membre de l’Instance équité et réconciliation (IER) et du Conseil consultatif des droits de l’Homme devenu en mars 2001 le CNDH, et on ne peut lui dénier son engagement en faveur de la défense des droits humains au Maroc. Ceci explique d’ailleurs sans doute, en grande partie, le choix du roi Mohammed VI de lui confier le 6 décembre 2018 la délégation interministérielle en remplacement de Mahjoub El Haiba.

Ainsi, que l’on partage les conclusions de son équipe ou pas, on peut du moins créditer M. Benyoub d’avoir accepté de s’attaquer à un sujet qu’il sait, sans doute, épineux: ce n’est, de fait, pas sans raison que M. El Haiba a laissé son rapport sur les événements d’Al Hoceima traîner autant de temps dans les tiroirs, pour finalement ne jamais le sortir, ou que M. Ramid a carrément préféré détourner le regard -le ministre d’Etat a, à cet égard, confié au journal électronique Al-Aoual, en marge d’une conférence de l’Union internationale des avocats (UIA) tenue le 5 juillet à Casablanca, qu’il n’avait rien à voir avec le rapport de M. Benyoub.

Trancher dans le vif
Quant aux points polémiques, relatifs notamment aux accusations de torture contre les autorités, ils peuvent, bien évidemment, toujours être discutés: on parle, depuis plus de deux ans, d’un autre rapport sur les événements d’Al Hoceima, à savoir celui du CNDH -où est-il? Et est-il vrai que c’est sa teneur critique envers les conditions d’arrestation des activistes, selon ce qui avait filtré dans les médias, qui ont valu à son ancien président, Driss El Yazami, son départ, également acté le 6 décembre 2018, au profit d’Amina Bouayach? En outre, la mort de M. El Attabi ne peut, comme l’a rappelé l’AMDH, rester sans réponses. Ici et là, il faudra trancher dans le vif, de sorte à ne pas miner le travail mené depuis plusieurs semaines par le CNDH et particulièrement Mme Bouayach -qui, à plusieurs reprises, a reçu les familles des détenus du Hirak ach-chaâbi- et qui a permis, à l’occasion du dernier Aïd al-Fitr -le 4 juin-, de gracier 60 personnes impliquées dans les événements d’Al Hoceima, mais aussi les 47 activistes emprisonnés dans le cadre des événements de Jerada -qui avaient eux aussi donné lieu suite à la mort, le 22 décembre 2017, d’un mineur dans une des galeries de charbon clandestines pullulant autour de la ville de l’Oriental, à un mouvement de protestation. Il y va non seulement de l’apaisement avec le Rif, mais de la consécration de l’Etat de droit au Maroc dans son entièreté.

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