Rachid Boufous, auteur de Petites Et Grandes Histoires du Maroc

Rachid Boufous : "Le Maroc est un musée à ciel ouvert"

Rachid Boufous est architecte-urbaniste. Dans cet entretien accordé à Maroc Hebdo, il revient sur l’originalité des chroniques du Tome 1 de son dernier livre, Grandes Et Petites Histoires du Maroc


Petites Et Grandes Histoires du Maroc est une plongée dans le royaume, racontée à travers des chroniques assez originales. Pourquoi ce choix de narration ? Je voulais raconter de façon originale et décalée l’histoire d’hommes et de femmes qui ont contribué à l’édification de la civilisation marocaine, dans une langue accessible et simple, avec des faits narrés sur une base historiques fiable, mais sans l’académisme scientifique des ouvrages historiques classiques. J’ai donc opté pour des histoires que l’on peut lire séparément sans chronologie historique, laissant aux lecteurs la liberté de lire à chaque fois l’histoire qui peut les intéresser. Le livre est établi avec une espèce de « menu » historique dans lequel on choisit ce qui nous intéresse ou attise notre curiosité.

Mahdi Ibn Toumart, Tarik Ibn Ziad, La Reine Touda... Sur quelle base avez-vous sélectionné les personnages de vos chroniques ?
J’ai cherché à aborder la vie de grands personnages de l’histoire du Maroc dont on entend parler sans les connaître vraiment. Ils sont abordés dans les manuels scolaires sur un angle purement académique ou on relate surtout leurs faits politiques ou militaires. J’ai par contre cherché à les aborder sous un angle purement humaniste, car ce sont après tout de simples êtres humains, dont la fortune, l’audace ou la destinée ont fait qu’ils sont devenus ce qu’ils ont été dans notre histoire. Ce sont tous des hommes et des femmes exceptionnels, qui étaient loin de penser qu’ils seraient un jour des chefs d’Etat, des chefs de guerre, des rois ou des reines. C’est cette part d’improbable chez ces êtres humains que j’ai voulu questionner et narrer.

Petites Et Grandes Histoires du Maroc s’adresse-t-il à un lectorat particulier ?
Il s’adresse à tous êtres épris d’histoire du Maroc, qui souhaitent ardemment la connaître, alors qu’ils l’avaient survolée durant leur scolarité. Il y a actuellement un formidable engouement des Marocains mais aussi des étrangers pour l’histoire et la civilisation marocaines dans tous leurs aspects. Je dis souvent que « le Maroc est un musée à ciel ouvert », mais qui reste méconnu, faute d’ouvrages accessible qui permettent d’en déchiffrer les richesses et les mystères. Vous savez, les 14 millions de touristes qui visitent notre pays, ne le font pas pour ses plages ou son soleil, mais pour cette civilisation millénaire, qui est toujours vivace et qu’ils souhaitent découvrir. Si mon ouvrage peut y contribuer, même de façon microscopique, alors je pourrais me dire que j’aurais contribué, à ma modeste échelle, à déchiffrer les richesses civilisationnelles du Maroc.

Les chroniques historiques sont nées sur les réseaux sociaux, à partir de 2016. Pourriez- vous nous raconter la genèse de votre travail ?
Effectivement, un jour alors que j’étais dans une chambre d’hôtel à Tanger, durant le Ramadan, j’ai posté sur Facebook, un court récit sur un endroit méconnu au Maroc, qui s’appelle Kasr Al Majaz, près du port de Tanger Med, et qui servit durant des siècles à la traversée du détroit de Gibraltar et qui fut utilisé par Tarik Ibn Ziyad pour conquérir l’Espagne en 711. J’avais accompagné mon texte de photos du site quasi à l’abandon. Ceci attisa la curiosité de mes amis sur les réseaux qui me demandèrent de leur raconter un peu plus de choses sur l’histoire de notre pays et c’est ainsi que de 2016 à 2022, j’ai raconté plus de 90 histoires sur le Maroc et l’Andalousie.

En quoi votre métier d’architecte-urbaniste a-t-il suscité cette vocation de chroniqueur d’histoire ?
Vous savez notre métier est l’un des 7 arts mondialement reconnus. Chaque bâtiment que l’on construit est fait pour la postérité et selon sa fonction ou sa destination, il devient une part importante de l’histoire humaine. Les architectes, sont les historiens de la pierre. Ils écrivent à leur façon l’histoire. Et chaque architecte, de par sa formation, est dans l’obligation de questionner les pierres de ses ancêtres, maitres d’oeuvres, afin de comprendre comment ils ont bâti à différentes époques des oeuvres qui ont traversé le temps avec des techniques souvent moins performantes que celles dont il dispose. L’architecture est la bibliothèque de pierre de l’humanité. C’est pour cela que je prône l’enseignement de l’archéologie, de l’artisanat et des autres arts dans les écoles d’architecture au Maroc. Il est indispensable de former des passerelles entre ces diverses disciplines scientifiques et artistiques. C’est ce qui permettra de sauvegarder notre patrimoine architectural et en transmettre les secrets aux générations futures.

Quid de votre passion pour l’histoire, notamment celle du Maroc ?
J’aime l’histoire depuis ma tendre enfance. J’ai eu la chance de vivre dans plusieurs régions du Maroc. Découvrir les châteaux de terre du sud marocain a été une révélation pour moi. Cela m’a donné envie de vouloir lire et découvrir l’histoire fabuleuse de ces populations qui se sont retrouvés sur cette terre marocaine pour bâtir une civilisation extraordinaire. Alors je me suis mis à acquérir tout ce qui a été publié sur notre pays. Je peux parfois me déplacer dans une ville lointaine pour acquérir un ouvrage parlant du Maroc. Ce fut au départ un passe-temps qui est devenu une véritable passion.

Etes-vous contre la démarche académique dans l’écriture des livres d’histoire ?
N’étant pas historien de profession, j’estime qu’il y a de la place pour les amoureux profanes de l’histoire comme moi. Certes nous avons besoin des historiens et de la rigueur scientifique dans l’écriture de l’histoire, mais nous avons aussi besoin de gens qui vulgarisent l’histoire, sans toutefois la dénaturer, afin de la rendre accessible au plus grand nombre. Les historiens marocains anciens comme Al Bakri, Al Mourrakouchi écrivaient dans une langue difficilement déchiffrable et relataient uniquement des faits politiques. Avec Ibn Khaldoun, une autre façon d’écrire l’histoire était née, mêlant la sociologie et l’anthropologie. Aujourd’hui, nous avons de grands historiens marocains comme Mostapha Bouaziz, Nabil Mouline, Mouna Hachim ou Laila Meziane, qui font un travail extraordinaire pour rendre l’histoire accessible au plus grand nombre.

Dans votre livre, vous dites que le Maroc est un musée à ciel ouvert. Que voulez- vous dire par là ?
Chaque ville, chaque village, chaque région du Maroc comporte des spécificités linguistiques, culturelles, architecturales qui leur sont propres. On peut faire cent kilomètres et se retrouver dans une ville où les gens des dialectes différents, vivent dans une architecture particulière. On ne parle pas le même dialecte que l’on vive au nord, au centre ou au sud de notre pays. On n’y vit pas de la même façon et la cuisine est différente d’une région à une autre.

Il n’y a pas d’uniformité au Maroc et c’est cette diversité des dialectes, des cultures et des modes de vie qui fait l’extraordinaire richesse de notre pays. Et j’invite les Marocains à visiter leur pays, dans toutes ses contrées, ils apprendraient énormément de choses sur euxmêmes. Nous les Marocains, nous sommes le produit et la résultante de cette diversité.


Pourquoi l’histoire du Maroc suscite-t-elle autant l’intérêt des historiens et passionne par-delà les frontières nationales ?
L’histoire du Maroc a toujours suscité beaucoup d’intérêt auprès des historiens. D’abord à travers l’histoire des innombrables empires que les marocains ont créé et qui s’étendaient du Sénégal aux contreforts des Pyrénées. A partir de la chute du califat omeyyade en 1020 en Andalousie, ce sont les Marocains qui bâtissent la civilisation andalouse jusqu’en 1492. D’abord à travers les royaumes des taifas dont les chefs étaient des amazighs, et à travers les dynasties almoravide, almohade et mérinide. Georges Duby dans sa chronique sur la méditerranée écrivait « qu’au 12ème siècle pas une planche ne flottait en méditerranée, sans que les almohades n’en furent au courant ». Cela dénote de la puissance de notre pays. Au 16eme siècle les Saadieens étaient considérés comme une puissance avec laquelle les pays européens devaient compter. De même avec la dynastie alaouite. Moulay Ismail a été un Sultan craint et redouté au 17ème et au début du 18ème siècle. Par ailleurs, le Maroc a été la dernière nation africaine à être colonisée en 1912, car les Européens avaient très peur de la puissance marocaine, héritée de plusieurs siècles de luttes et de conquêtes.

Y a-t-il un risque de réécriture de l’histoire par les historiens étrangers qui traitent du Maroc ?
L’histoire du Maroc a été réécrite à plusieurs reprises, notamment par les historiens colonialistes mais aussi par les nationalistes marocains au cours du protectorat et après l’indépendance. Pour ainsi dire, le fait amazigh a été occulté, avec la volonté d’inscrire les débuts de l’histoire du royaume à partir de Moulay Idriss 1er, alors que des royaumes amazighs existaient depuis la nuit des temps. Il y a aussi le fait de dire que les Marocains ont accepté l’islam et la conquête arabe sans heurts, mettant de côté les révoltes berbères contre le pouvoir discrétionnaire et absolutiste de Oqba Ibn Nafii et de Moussa Ibn Noçair. Des gens comme Koçayla, Salih Ibn Tarif (fondateur du royaume des Bereghouatas qui dura 350 ans), Dihia (alias Kahina), Mayssara Al Mdaghri, qui ont conduit ces révoltes sont présentés comme des mercenaires dans l’histoire officielle, tandis qu’ils n’ont fait que défendre leur terre contre un envahisseur qui les a humiliés au profit du califat Omeyyade de Damas. Je pense qu’il est nécessaire d’écrire l’histoire du Maroc de manière sereine, avec ses aspects sombres mais aussi lumineux. L’histoire doit être relatée selon les faits tels qu’ils se sont produits, sans maquillage ni gloriole inutiles, et laisser au citoyen le libre arbitre pour juger de tout cela. Toujours est-il que nous devons être fiers de notre histoire avec tous ses apports, amazigh, arabe, hébraïque, hassani, chrétien, africain avec comme système unitaire, la monarchie, qui a réussi à fédérer ce peuple marocain, de façon ininterrompue, depuis Juba 1er (dernier roi de Numidie orientale).

Pensez-vous que l’histoire du Maroc est suffisamment préservée ?
Pas assez à mon sens. Il faut d’abord l’expurger de toute idéologie identitaire ou politique. L’histoire est d’abord une science qui se base sur l’archéologie et la confrontation des textes anciens. Elle ne doit pas prendre parti et doit rester neutre. Relater les faits historiques tels qu’ils se sont produits, les analyser à l’aune du contexte social, politique, religieux, culturel, dans lesquels ils se sont produits, sans chercher à leur donner une quelconque connotation ou chercher à les récupérer pour bâtir une fausse épopée ou des mythes politiques. Il y a lieu aussi de protéger notre histoire des tentatives de spoliation par d’autres nations, démunies d’histoire et de civilisation, lesquelles tentent de s’approprier notre histoire et notre civilisation à leur compte. On l’a vu récemment avec les Algériens. C’est pour cela que je souhaite que les jeunes marocains, ainsi que le public adulte, s’intéressent de plus en plus à l’histoire de leur pays, et de permettre à de plus en plus d’historiens et d’archéologues marocains de disposer des moyens pour mener à bien cette mission de préservation et de transmission de l’histoire du Maroc aux génération futures.

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