Le RAMED ou les pieds devant

Abdellatif Mansour

Le RAMED sous la menace de son propre système de financement


Unique voie d’accès aux soins médicaux pour les plus démunis, le Ramed risque de se tourner vers la contribution de ses 12 millions de bénéficiaires.

Parmi les sigles qui font florès dans les temps actuels, le RAMED tient une place d’honneur. Même les moins alphabétisés l’utilisent volontiers, avec l’ultime conviction usuelle qu’il sera aisément décrypté par leurs interlocuteurs. Car, comme son nom l’indique, ce régime d’assistance médicale pour les plus démunis s’adresse à leur état de santé qui n’a pas de prix, mais qui a un coût. Précisément, ces «ramadistes» invétérés s’y accrochent en dernier recours, comme ils s’accrochent à la vie.

Ce thème d’un humanisme affiché vient de faire débat sur la place publique. Notre confrère Al Masae, dans son édition du 10 janvier 2019, en a fait grosse machette. On y lit qu’il faudra désormais payer pour renouveler sa carte RAMED ou pour en avoir une. La somme de cette contribution est fixée à 480 dirhams. La titraille a fait mouche. Réaction simultanée dans les milieux qui n’ont d’autres moyens de lutte contre la maladie que l’instinct naturel de survie. Comment peut-on faire payer des gens de peu qui n’ont que leur droit à la vie à faire valoir pour l’accès aux soins médicaux nécessaires? L’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM) a vite fait de démentir toute rumeur de monnayage du RAMED. Pour cette structure dont on entend rarement parler, ne serait-ce que pour preuve d’existence, il n’en a jamais été question.

Lorsqu’il s’agit de sous, à la virgule près, le doute est permis; pour un moment seulement. Vérification faite, la contribution des bénéficiaires du RAMED est certes partielle, mais elle existe bel et bien dans le texte de loi qui a donné naissance au RAMED. Lequel a été mis en route par une expérience pilote en 2008, dans la région de Tadla Azilal. Le lancement officiel du RAMED n’a eu lieu qu’en mars 2012, sous le gouvernement de Driss Jettou. L’essentiel des apports de financement relève du budget de l’État et des collectivités locales. Un engagement qui n’a pas toujours été régulièrement honoré. En 2018, ils étaient 12 millions de bénéficiaires de ce régime; avec une garantie de taille, l’accès aux soins médicaux gratuit dans les hôpitaux publics.

Énorme. Ce chiffre à lui seul donne la mesure des besoins pressants et des appels d’assistance du corps social. Tout comme il renseigne sur les difficultés qui vont avec. La première de ces entraves potentielles, devenues réelles, a été, comme attendu, le nerf de la guerre, à savoir le financement. Tout se passe comme si on avait lancé un produit à grande résonance sociale, sans y affecter les moyens indispensables à sa réalisation; ni même à son fonctionnement. Les plus avertis dans ce domaine attestent de l’impact négatif de cette situation sur la gestion des hôpitaux, au jour le jour.

La réaction des médicaux et paramédicaux de la santé publique est amplement justifiée. Par ailleurs, il ne peut être question que de financement au sens strict d’une trésorerie comptable. Il y a aussi à porter un regard sur la gouvernance humaine des centres hospitaliers et du fonctionnement de l’ensemble du processus émanant et menant au RAMED. Il n’est un secret pour personne que ce système, tellement louable, est luimême l’objet de toutes les turpitudes aux antipodes de sa vocation première. La corruption est partout sur le circuit permettant la possession de la carte RAMED et l’accès aux soins médicaux les plus urgents et parfois les plus coûteux.

Dès le début, il s’est posé le problème de l’identification des bénéficiaires. Il est dit dans le texte de loi fondateur que seuls sont ciblés les milieux sociaux les plus vulnérables, vivant dans une précarité récurrente ou permanente. Les formulaires à fournir doivent en principe renseigner sur les biens et revenus des familles. En fait, ils ont servi de parades à toutes les fausses déclarations possibles, vaillamment reçus et monnayés par les chioukhs et les moqadems du quartier.

Du coup, le nombre de demandeurs de cartes RAMED s’est surmultiplié. Le RAMED en a pâti, à nos jours. Pour en savoir un peu plus sur l’éligibilité au système RAMED, ne faudrait-il pas faire connexion avec le Haut commissariat au plan (HCP) de Ahmed Lahlimi et sa cartographie de la pauvreté au Maroc? Et encore, car nous sommes dans une société où le certificat d’indigence n’est délivré qu’après avoir sacrifié au bakchich établi.

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