RICHES, À VOS POCHES

Contribution au fonds spécial pour la gestion de la pandémie de Covid-19

Au temps de la crise actuelle il serait, tout compte fait, peu de chose que de mettre la main à la poche...

La générosité des Marocains n’était donc pas qu’une fable. Elle s’est au contraire, au cours de la crise actuelle due à la pandémie de Covid-19, matérialisée via la foultitude d’initiatives prises aussi bien par les institutions publiques et privées que les particuliers pour aider à limiter les effets de cette crise sur les ménages, et dont la plus illustre reste sans doute, à ce jour, le fonds spécial mis en place le 16 mars 2020 sur instructions du roi Mohammed VI. Ce fonds est ainsi en passe de dépasser, aujourd’hui, les 30 milliards de dirhams de cagnotte depuis son lancement officiel, trois fois supérieurs au montant de 10 milliards de dirhams initialement prévu.

Dès l’adoption par le gouvernement du décret l’instituant, d’aucuns se sont pressés, et ce alors même que personne ne leur avait demandé, pour l’alimenter, à l’instar des groupes “Afriquia” et “BMCE Bank of Africa”, avec des apports respectifs d’un milliard de dirhams, ou encore du ministre de l’Industrie, du Commerce et de l’Économie verte et numérique, Moulay Hafid Elalamy, à hauteur de 200 millions de dirhams. Aussi, des milliers de citoyens lambdas d’ici et d’ailleurs n’ont pas manqué de transférer leur pécule, aussi maigre soit-il, dans le compte bancaire expressément créé par Bank Al-Maghrib, la banque centrale, afin de venir en aide à leur pays dans cette période trouble pour toutes et tous.

Cependant que de nombreux hommes d’affaires, devenus immensément riches grâce à leur fructueux business faits, il faut le rappeler, au Maroc et naturellement avec les Marocaines et les Marocains, ont préféré, pour l’heure, rester près de leurs sous, alors même que rien ne les empêche de contribuer eux aussi à l’effort de guerre national contre la Covid-19. Inutile de citer, car cela ne sert rien, in fine, de frapper d’anathème à tout-va, mais les noms viendront, on l’imagine, à tout le monde.

Où sont-elles ces fortunes qui hier encore s’étalaient au grand jour? Ou cela ne vaut-il finalement que pour les périodes de prospérité, lorsque le vent souffle pour eux dans la bonne direction? Bien évidemment, il n’est aucunement question ici de porter des accusations ou encore d’insinuer que ces richesses auraient été cumulées de façon imméritée, tant s’en faut. Et si, au grand jamais, tel est le cas, c’est alors à la justice marocaine, et non à nous, de trancher à ce propos. C’est plutôt pour souligner que derrière ces réussites financières, il y a aussi des conditions propices dont elles ont su, grand bien leur fasse, mettre à profit.

On sait que notamment la vague de marocanisation, décrétée dans les premiers mois de l’année 1973 par le roi Hassan II, a joué un rôle notable dans l’émergence de la bourgeoisie nationale dont il est question, et que l’Etat marocain a contribué sinon directement, du moins par son laisser-faire intentionnel, à consolider sa position au sommet de la hiérarchie sociale. Les exceptions ne sont pas vraiment ce qu’on peut dire légion et sont elles aussi, pour le commun des citoyens, notoires. Mais même le cas échéant, il y a lieu de rappeler qu’un succès, quel qu’il soit, ne peut jamais vraiment être totalement individuel et dépend toujours de facteurs aussi bien endogènes qu’exogènes, et qu’une personne seule, sans la contribution de la société, ne peut résolument arriver à rien.

Aux Etats-Unis, pays connu pour être le porte-étendard du libéralisme économique de par le monde, l’ancienne candidate démocrate aux présidentielles, Elizabeth Warren, rappelait cette vérité proverbiale dans une vidéo virale du début de la décennie précédente: “Personne dans ce pays n’est devenu riche seul. Personne. Vous avez fondé votre entreprise ici? Félicitations. Mais laissez- moi être claire: vous avez transféré vos produits sur des routes que le reste d’entrenous avons construites; vous avez employé des ouvriers que le reste d’entre nous avons éduqués; votre usine est restée en sécurité grâce aux forces de polices et aux pompiers que le reste d’entre nous avons payés. Vous n’avez jamais eu à craindre que des bandes de maraudeurs viennent vous voler vos biens parce que nous autres étions là.

Vous avez créé votre usine et elle est devenue quelque chose de grandiose? Dieu merci. Gardez-en le plus gros morceau. Mais une partie du contrat social sous-jacent est qu’en prenant votre part du gâteau, vous en donniez aussi pour le prochain gamin qui arrive.” A quelques mots près, il est sans doute permis d’en dire autant du Maroc et de rappeler qu’au temps de la crise actuelle il serait tout compte fait peu de chose que de mettre la main à la poche...

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