Tebboune ne goûte pas

ACTIVISME DIPLOMATIQUE MAROCAIN


Le président algérienAbdelmadjid Tebboune etle général de corps d’arméeSaïd Chengriha.

C’est un véritable réquisitoire contre la diplomatie régionale de Rabat dont le président algérien a été le 10 octobre l’auteur à Alger. Ce qui en dit long sur l’exaspération du locataire d’El-Mouradia vis-à-vis des succès en la matière du Royaume.

L’activisme diplomatique dont a fait montre le Maroc dans la région au cours des dernières semaines ne pouvait, à l’évidence, laisser l’Algérie insensible. L’intervention du 10 octobre 2020 du président algérien Abdelmadjid Tebboune au siège du ministère de la Défense nationale algérien à Alger, en présence notamment du chef d’état-major de l’Armée nationale populaire (ANP), le général de corps d’armée Saïd Chengriha, n’a, à ce titre, pas vraiment surpris les observateurs, dans la mesure où son réquisitoire contre cet activisme et, plus généralement, contre le Royaume était attendu du chef d’État d’un pays qui considère son voisinage direct comme relevant de son pré carré exclusif.

Profonde gratitude
Ce complexe de la “nation indispensable”, pour reprendre l’expression utilisée par l’ancienne secrétaire d’État américaine Madeleine Albright à propos des États- Unis en février 1998, et de gendarme autoproclamé a notamment été criant quand M. Tebboune a abordé le Mali, en proie à une crise institutionnelle depuis le coup d’État essuyé le 18 août par son désormais ex-président, Ibrahim Boubacar Keïta, réfugié depuis le 5 septembre à Abou Dabi.

“L’Algérie est le seul pays au monde qui connaît parfaitement le Mali,” a proclamé M. Tebboune. Et de faire référence aux accords que l’Algérie avait chapeautés en 2015 à Alger entre Bamako et les groupes touaregs du Nord-Mali, dont les velléités autonomistes puis séparatistes à partir d’avril 2012 avaient, pour rappel, conduit à la guerre. “Et maintenant des parties qui n’ont même pas de frontières avec le Mali manoeuvrent et conspirent,” a accusé M. Tebboune.

Une pique qui, clairement, vise le Maroc, qui, dès le 20 août, avait été le premier pays à prendre langue avec les putschistes, comme leur leader, le colonel Assimi Goïta, l’avait dévoilé cinq jours plus tard au cours de l’audience qu’il avait accordée le 25 août au camp militaire de Kati à l’ambassadeur du Royaume à Bamako, Hassan Naciri. Le colonel Goïta, qui a depuis été élevé au rang de vice-président en même temps que l’ancien ministre de la Défense, Bah N’Daw, était nommé le 25 septembre président de la transition, avait alors, au nom du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) qu’il présidait, exprimé sa “profonde gratitude” envers le roi Mohammed VI. L’Algérie avait, elle, commencé par “rejet[er]”, le 19 août, le coup d’État, avant finalement de faire dépêcher, neuf jours plus tard, son ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum, à Bamako pour rencontrer les leaders du CNSP, dont le colonel Goïta.

Autorité de transition
C’est que, aveuglée justement par le soi-disant fait qu’elle soit “le seul pays au monde qui connaît parfaitement le Mali”, elle n’avait pas compris à temps que le coup d’État participait moins d’une volonté de l’armée de reprendre les commandes, comme c’est souvent arrivé dans l’histoire du pays depuis la prise de pouvoir du lieutenant Moussa Traoré en novembre 1968, que d’une exaspération réelle de la population malienne vis-à-vis de M. Keïta et de son parti, le Rassemblement pour le Mali (RPM), dont la victoire aux législatives du printemps a été fortement contestée et conduit même à des violences le 10 juillet -au moins quatorze morts selon les associations de droits humains.

La proposition faite le 20 septembre par M. Boukadoum au CNSP d’un “accompagnement” par l’Algérie, au cours de sa deuxième visite en moins d’un mois à Bamako, n’était, de ce point de vue, pas du tout crédible, et d’ailleurs les parties maliennes n’y ont, depuis lors, pas donné suite. Contrairement à la médiation du Maroc qui, dès juillet selon des indiscrétions du 17 juillet de l’hebdomadaire français Jeune Afrique, avait évité à M. Keïta d’être renversé, avant que le Royaume ne joue un rôle similaire pour mettre en place l’autorité de transition menée actuellement par M. N’Daw.

Signataires par le sang
Rabat peut, ainsi, s’enorgueillir de pouvoir traiter avec tout le monde, comme cela fut manifeste le 29 septembre lors de la visite effectuée par le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, à Bamako et où le chef de la diplomatie avait aussi bien pu s’entretenir avec MM. N’Daw et Goïta ainsi que le Premier ministre de transition, Moctar Ouane, qu’avec les principaux opposants de M. Keïta, à savoir le chérif de Nioro, Bouyé Haïdara, leader de la tariqa soufie de la hamawiyya, et l’ancien président du Haut Conseil islamique malien (HCIM), Mahmoud Dicko.

Toutes ces parties ont, sans exception, comme l’avait rapporté une dépêche de l’agence Maghreb arabe presse (MAP), fait part de “leurs sincères remerciements” au roi Mohammed VI pour sa “sollicitude permanente”. Le secrétaire général de l’organisation séparatiste touarègue du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), Bilal Ag Acherif, et son porte-parole, Mossa Ag Attaher, avaient d’ailleurs d’eux-mêmes, connaissant que les autorités marocaines avaient leurs entrées à tous les niveaux au Mali, demandé il y a quelques années à être reçus par le Souverain, ce qui leur fut accordé en janvier 2014 au palais royal de Marrakech. L’Algérie a, qui plus est, toujours eu un rôle trouble au Mali, avec notamment ses liens avérés avec les organisations terroristes actives dans le Nord du pays.

Suite à une demande expresse du président américain Donald Trump, le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, vient d’ailleurs de mettre en ligne ce 12 octobre sur le site web de son département une partie de la correspondance électronique de sa prédécesseure, Hillary Clinton, du temps où celle-ci dirigeait la diplomatie des États-Unis et où l’on peut notamment trouver un mail confirmant le marché passé en 2012 entre la junte algérienne et les Signataires par le sang, la fameuse organisation du terroriste algérien Mokhtar Belmokhtar, pour que celle-ci ne s’attaque plus aux intérêts algériens et circonscrive plutôt son action au Mali et même, si possible, au Sahara marocain en échange de la mansuétude d’Alger.

Sécurité militaire
Cependant que les Signataires par le sang allaient donner l’assaut, en janvier 2013, du site gazier d’In-Amenas, dans la wilaya d’Illizi, et faire une quarantaine de morts, au cours d’une attaque dont l’occurrence avait motivé le mail reçu le 18 janvier 2013 par Mme Clinton -la sécurité militaire, à qui le président algérien Abdelaziz Bouteflika menaçait alors de couper les ailes comme il le fera effectivement moins de trois ans plus tard en septembre 2015 en débarquant son patron, le général de corps d’armée Mohamed Médiène, aurait également pu laisser faire, selon ce que l’on assura également plus tard.

Par ailleurs, l’on sait que l’ancien leader d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali, dont l’organisation a depuis lors été, en mars 2017, fusionnée dans le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), est un protégé de longue date de la capitale algérienne, et il aurait notamment, selon ce qu’avait révélé le quotidien français Le Monde en juillet 2018, été in extremis sauvé par elle lorsqu’il était sur le point d’être neutralisé en 2016 à l’hôpital de Tamanrasset par un service de renseignement occidental. Mais l’Algérie est, surtout, souvent taxée d’avoir des vues sur le Nord-Mali, où l’on peut notamment trouver de riches sous-sol en pétrole.

Faciliter les tractations
Elle vient d’ailleurs de se voir accuser par l’Alliance démocratique du peuple malien (ADÉPM), un parti d’opposition malien, de s’être approprié le territoire au cours d’une opération que le ministère de la Défense nationale algérien a présenté, dans un communiqué de réaction, comme une simple “mission technique”,... sans nier toutefois avoir déployé en plein territoire malien, et ce sans l’autorisation de Bamako, des soldats de l’ANP. “L’Algérie (...) réitère son total engagement à respecter la souveraineté des États et le principe de l’intangibilité des frontières,” a plaidé le ministère de la Défense algérien. M. Tebboune renvoyait sans doute lui-même à la levée de boucliers de l’ADÉPM en clamant, dans son allocution du 10 octobre, que l’action de son pays au Mali ne n’inscrivait “pas dans le cadre de plans expansionniste ou idéologique”.

La méfiance envers l’irrédentisme algérien semble, toutefois, persister, et on la trouve d’ailleurs également dans les autres pays du voisinage et notamment en Libye, où l’on sait qu’une partie de l’état-major de l’ANP n’a pas encore tout-à-fait renoncé à l’annexion de la région du Fezzan, qui pour rappel fit, d’avril 1943 à décembre 1951, partie de l’Algérie française. Elle explique sans doute en grande partie l’échec de la médiation algérienne dans le pays d’Omar El Mokhtar, où les belligérants ont, dès 2015, choisi de se tourner vers le Maroc pour faciliter les tractations entre eux, avec finalement l’accord le 7 octobre à Bouznika entre le Haut conseil d’Etat et de la Chambre des représentants sur la future répartition des postes de souveraineté.

Alger, on le sait, n’a jamais accepté cela, comme l’avait illustré le fait que M. Boukadoum fasse l’impasse, dans l’interview qu’il avait accordée le 8 septembre à la chaîne France 24, sur le round de négociations se tenant en même temps à Skhirat alors que la journaliste Soundousse Ibrahimi lui avait pourtant posé la question sur le conflit libyen, et M. Tebboune a emboîté le pas, au ministère de la Défense algérien, à son ministre des Affaires étrangères en comparant ce round à “réunir cinq personnes par-ci, par-là”.

Le président algérien a insisté, à cet égard, sur le fait que, selon lui, la seule vraie solution était d’organiser des élections et que “toute autre solution est une perte de temps”; sauf qu’à la veille du déplacement de ce 15 octobre du ministre de l’Europe français, Jean-Yves Le Drian, en Algérie, les officiels algériens remettaient sur la table la soi-disant solution des pays du voisinage dont le quotidien algérien El Khabar avait, le premier, détaillé la teneur le 4 août. Preuve s’il en fallait encore d’une mauvaise foi sans bornes, au figuré comme, surtout, au propre.

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