Une trouvaille artistique au-delà des frontières

Rencontres photographiques de Rabat

Du 2 jusqu’au 30 mai 2019, l’espace Expressions CDG abrite l’exposition-photo collective « Frontières et Mobilité », dans le cadre de la 4ème édition des Rencontres Photographiques de Rabat.

Il est 18h. Nous sommes à Rabat, à quelques pas du marché des fleurs de la place Pietri. Une bouffée d’air revigorante escorte une affluence d’artistes, amateurs de photographie, journalistes et critiques d’art à l’entrée de la galerie de la CDG, pour assister à un vernissage inédit, fruit d’un brassage photographique, mais surtout culturel ; des exposants des quatre coins du globe nous proposent, chacun à sa manière, une vision à décentrer, des frontières disciplinaires à décloisonner.

En entrant dans la galerie, les photos signées Carmen Yahchouchi nous happent l’attention. À seulement 26 ans, cette photographe d’origine malienne, nous livre un travail qui démontre l'acuité et l'originalité de son regard : des hommes allongés sur des lits à moitiés déchiquetés et broyés, derrière des voiles qui leur brouillent la perception, ou les protègent, mais essentiellement les séparent du monde réel. Les personnages de l’histoire de Carmen semblent immergés dans un rêve qui s’étire, flâne, et se détache de la réalité. Une suspension joviale du temps, qui leur permet de s'évader d'un quotidien glauque. « Le voile sépare deux mondes, le monde de rêve, et le monde de la réalité pénible, isole la clarté et l'obscurité. Ce tissu derrière lequel ces hommes sont allongés pourrait être leur seule source de protection et de refuge », nous explique Halida Boughriet, artiste photographe franco-algérienne. « La lumière utilisée est douce, ce qui crée une sorte d’apaisement, de sérénité en plein milieu d’insécurité », ajoute-t-elle.

Dans ses photographies, Carmen estampille son oeuvre d’une empreinte de tendresse pour éventer un milieu périlleux, ce qui lui prodigue un aspect profond : « les clichés de Carmen sont classiques, très simples et fins, mais en même temps, comportent des détails qui les rendent denses, et leur donnent un sens poétique. » témoigne Imad Mansour, l’un des artistes exposants aux Rencontres Photographiques. « Le choix du voile en dentelle, par exemple : érotique, douçâtre et féminin, pourtant utilisé pour voiler des hommes», poursuit-il.

No man's land sous l’oeil de l’objectif
Un autre regard sur la frontière nous a été transmis par l’artiste palestinien Taysir Batniji, qui a puisé son inspiration de son parcours biographique. Etant témoin oculaire des situations vécues lors de la traversée de la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza, Taysir fige, à travers ses photographies, des scènes de son passage du désert du Sinaï, du paysage, des passagers, du poste frontière égyptien, du regroupement ou de la séparation des familles fragmentées en raison de la frontière, et du blocage, comme l’artiste le décrit, dans un « entre-deux territorial ». Taysir expose la complexité de cette frontière, et lève l’ambiguïté sur les risques auxquels sont confrontées les personnes qui la franchissent chaque jour. Des oeuvres témoins d’une condition humaine : « L’artiste a photographié, au péril de sa vie, des moments, des scènes lors du transit. Il nous a offert un témoignage humain, traçable, qui restera gravé dans l’histoire, et la mémoire collective des gens qui ont souffert durant ce passage », nous confie Nabila El Ouadghiri, critique d’art. « Ces photos sont, à mon sens, les plus touchantes et les plus expressives.», ajoute-t-elle.

Les échanges se poursuivent autour des installations, et les regards se tournent cette fois-ci, vers les clichés de Mehdy Mariouch. « Une sorte de voyage spatio-temporel dans les laboratoires des années 60-70 aux décors kitsch », c’est ainsi que l’artiste photographe marocain décrit son travail, du fait qu’il ait parcouru plusieurs villes du royaume, pour rencontrer des photographes qui auraient marqué de leur empreinte une partie de l’histoire de la photographie au Maroc. C’était leur tour, cette fois-ci, de poser devant l’objectif.

Inversion des rôles
Les photographes deviennent photographiés. C’est une façon de leur rendre hommage, selon Mehdy, et donner un caractère intemporel à leurs travaux, mais aussi à leurs studios, qui, bien qu’ils soient délaissés, disposent toujours de certains décors éclectiques ; couchers de soleil, jardins fleuris, arcades, paysages, plages, et sites touristiques. Des lieux imaginaires qui permettent, en quelque sorte, de dépasser des frontières réelles, ne serait-ce qu'un instant.
L’exposition « Frontières et Mobilité » se poursuit jusqu'à la fin du mois mai à Rabat, avant d’atterrir à Londres, sa prochaine destination.

Meryem BEDDA

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