DISPARITION. Historien, humaniste et écrivain prolifique, Abdellah Tazi est l’un des derniers représentants du savoir encyclopédique. Amoureux des archives et des textes de première main, il a été le prospecteur de la profondeur historique du Maroc.
Avec le décès de Abdelhadi Tazi, le 2 avril 2015, à Rabat, à l’âge de 94 ans, le Maroc perd l’un de ses grands érudits, témoin de son époque et narrateur infatigable d’un passé qui donne sur la profondeur historique du Maroc. Le parcours de ce natif de Fès en 1921 relate, en lui-même, ce Maroc des livres d’histoire où tout invitait à l’implication, aussi bien dans le flux de l’événementiel et du conjoncturel que dans une intense gestation culturelle. Abdelhadi Tazi était sur les deux fronts, avec une préférence irrésistible pour l’engagement national par la connaissance. Toute sa vie durant et tout au long de ses pérégrinations intellectuelles, un mot revenait constamment dans son parler de conférencier et dans ses écrits: Al Qarawyine.
“La mosquée et l’université”
C’est dans cette université antique que Abdelhadi Tazi a obtenu son titre de Alem (érudit), en 1947. Le parchemin d’une première consécration qui suffisait au bonheur du père; car celui-ci voulait l’orienter vers une carrière exclusivement fondamentaliste d’attaché à la mosquée Al Qarawyine.
Cette ambivalence autour de la même institution, Abdelhadi Tazi en fera un livre sous le titre Al Qarawyine, la mosquée et l’université. De même qu’il en fera son sujet de thèse de doctorat à l’université d’Alexandrie, en Egypte, en 1971. «Sans la Qarawyine, disait-il, le Maroc serait aujourd’hui un pays parlant une autre langue que l’arabe et peut-être croyant en une autre religion que l’Islam». Amoureux de Al Mutanabbi, il maîtrisait parfaitement et écrivait volontiers dans celle de Molière et même de Shakespeare.
Une quête jamais assouvie
C’est surtout dans l’histoire et l’étude des civilisations que Abdelhadi Tazi trouvera matière à satisfaire une quête du savoir jamais vraiment assouvie. Il débute sa longue marche de chercheur à l’université Mohammed V de Rabat, où il obtient un DES sur la dynastie almohade.
Le diplôme et les distinctions universitaires, Abdelhadi Tazi en a eu un nombre fastidieux. Cependant, ce n’est pas qu’à travers cette filière qu’il publiera ses travaux de recherche et ses livres. Même s’il a dirigé, entre autre, l’Institut de recherche scientifique de Rabat. En fait, son regard de chercheur porte beaucoup plus loin que l’enceinte des campus.
Abdelhadi Tazi a été un écrivain prolifique qui n’hésite pas à enfourcher sa plume pour prospecter des espaces à connotation historique; mais pas seulement. À parcourir son oeuvre, on est proprement sidéré par l’éventail des thèmes abordés. On y trouve des précis de littérature arabe; des descriptifs des us et coutumes de société, tels Les mariages à Fès, ou La chasse au faucon entre Maghreb et Machrek, ou encore La femme dans l’histoire de l’Occident musulman; des observations sur l’architecture de monuments historiques, comme Le palais Al Badii de Marrakech, une des merveilles du monde; des écrits foncièrement religieux, tels A l’ombre de la foi, ou L’explication de la sourate Noor; des correspondances administratives, comme Lettres makhzéniennes, ou Les biens habous marocains à Al Qods… Dans ce listing, qui est loin d’être exhaustif, un thème a accaparé une grande partie de la réflexion et de la production de Abdelhadi Tazi, celui du rapport du Maroc à l’étranger.
À travers ses recherches, notre historien rapporte les faits et les effets sur un pays qui a toujours été ouvert sur le monde extérieur. Il passe en revue l’historique de nos relations avec les États Unis d’Amérique; de même qu’il donne un avis venu d’ailleurs sur l’Iran avant et après la révolution khoméniste; ainsi que le Koweit d’hier et d’avant-hier.
Quelle que soit l’abondance de ses écrits, l’oeuvre maîtresse de Abdelhadi Tazi reste L’histoire de la diplomatie marocaine en quinze volumes. Un domaine, comme tant d’autres, où l’auteur sait de quoi il parle. Il a été ambassadeur du Maroc en Irak, en Libye, en Iran et dans les Emirats Arabes Unis. Les pays de “Ce Moyen-Orient compliqué” et constamment dans la tourmente, où il a accumulé l’expérience d’une diplomatie de terrain.
Globe-trotter des lettres
Sa connaissance du monde arabe, de son histoire et de sa culture lui a été d’un apport distinctif parmi le corps diplomatique, au point d’être membre des institutions académiques des pays de la région. Arrivé en Irak, il aura cette réflexion: «Je suis heureux de perpétuer la mission de l’imam Abdallah Ibn Al Arabi, que le sultan Youssouf Ben Tachefine a nommé ambassadeur à Bagdad». Sa fonction diplomatique, forcément itinérante, lui a permis de sillonner le monde en globe-trotter des lettres et des sciences humaines dans leurs multiples prolongements. Abdelhadi Tazi a ainsi été l’un des derniers représentants du savoir encyclopédique qui ont animé la vie intellectuelle des siècles durant.
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