Les trois ans de vaches maigres du Maroc

BUDGET

Le Royaume devra, à l’évidence, s’astreindre à l’austérité au cours des trois prochaines années, à en croire le rapport préalable au budget dont vient de se fendre le ministère de l’Économie.

On le sait, le Maroc est loin de sortir de l’auberge de l’austérité, tant son économie a été au cours des derniers mois, et ce pour plusieurs années encore sans doute, éprouvée par la pandémie de Covid-19. En effet, la contraction, au cours de cette année, du produit intérieur brut (PIB), que Bank Al-Maghrib (BAM) estime désormais à 6,3% contre 5,2% “seulement” le 16 juin encore, sera inévitablement répercutée par une chute des recettes fiscales, à telle enseigne que, depuis début avril, le Royaume multiplie les emprunts pour combler un gap que le ministre de l’Économie, Mohamed Benchaâboun, estimait au cours de sa dernière intervention à la chambre des représentants le 28 septembre à 20 milliards de dirhams (MMDH) au minimum en 2021 -pour un chiffre pouvant atteindre, selon le même responsable, 25 MMDH.

M. Benchaâboun avait par ailleurs, à la même occasion, également fait référence à l’augmentation “incompressible” de divers postes budgétaires au titre de la masse salariale (+8,5 MMDH, du fait notamment de l’impact du dialogue social ou encore de la régularisation des promotions), de l’organisation des élections (+1,5 MMDH), des charges de la compensation (+2 MMDH) et de la mise en oeuvre de la régionalisation avancée (+1,6 MMDH). Sans parler enfin du lancement, à partir du mois de janvier 2021, du chantier de la généralisation de l’assurance maladie obligatoire (AMO), dans le sillage du discours du Trône du 29 juillet 2020.

Dans un rapport préalable au budget dont vient de se fendre le ministère de l’Économie et qui couvre non seulement l’année 2021 mais également 2022 et 2023, en prévision du projet de loi des finances (PLF) qui doit bientôt être soumis à la discrétion du parlement, davantage de détails sont donnés par le département de M. Benchaâboun sur ses perspectives budgétaires pour la période concernée. Ainsi il est prévu que l’État dépense, au cours des trois prochaines années, 935,11 MMDH au total, dont 307,81 MMDH en 2021, principalement accaparés par les dépenses de fonctionnement (702,91 MMDH, soit plus de 75% du budget général), tandis que les dépenses d’investissement s’élèveront, elles, à 232,2 MMDH, dont 75,99 MMDH en 2021.

Les entreprises favorisées
Ces investissements auront principalement trait, souligne le rapport, “aux projets en cours, particulièrement ceux objets de conventions signées devant le Roi et ceux bénéficiant d’investissements étrangers”, et ce dans la lignée des propos qu’avait tenus le 4 août M. Benchaâboun lors d’une conférence de presse qu’il avait donnée au siège de son ministère à Rabat. Aussi, “les entreprises marocaines sont favorisées, particulièrement celles utilisant des produits locaux”. Le Chef du gouvernement avait d’ailleurs, à ce même égard, fait diffuser le 10 septembre auprès des différents départements ministériels une circulaire commandant à ces derniers de prioriser ces entreprises sur les marchés de moins de 100 millions de dirhams (MDH) même si elles sont plus chères de 15%, et ceux de plus de 100 MDH même si elles sont plus chères de 7,5%.

Le rapport a, en outre, insisté sur le fait que, “dans ce sillage, il [soit] appelé à renforcer le recours à des mécanismes alternatifs de financement dans le cadre de partenariats institutionnels ou de partenariats public-privé”, vraisemblablement à la même aune que la convention-cadre signée le 22 septembre entre la Fédération nationale de la santé (FNS), qui comprend de nombreux opérateurs privés de la santé, et le ministère de la Santé afin d’améliorer et de développer le système national de santé.

Ceci dit, d’aucuns ont vu, dans la ventilation que compte faire M. Benchaâboun et, plus généralement, le gouvernement Saâd Eddine El Othmani, des dépenses d’investissements au cours de la période concernée une confirmation des velléités des intéressés de dépenser le moins possible et surtout, à l’évidence, de continuer à passer par les banques pour relancer l’économie, comme l’avait d’ailleurs clairement indiqué l’annonce par le ministre, également le 4 août, de consacrer 75 des 120 MMDH promis par le roi Mohammed VI dans son discours du Trône au fonds de garantie que sont Damane Relance et Relance TPE, respectivement dédiées aux entreprises ayant eu, en 2019, un chiffre d’affaires supérieur, pour le premier fonds, et inférieur, pour le deuxième fonds, à 10 MDH.

Rigueur budgétaire
D’ailleurs M. Benchaâboun avait, le 9 juillet, essuyé, au moment de présenter la première mouture du projet de loi des finances rectificative (PLFR) finalement adopté onze jours plus tard par le parlement, des critiques de son propre parti du Rassemblement national des indépendants (RNI) en la personne du député de la formation de la colombe Mustapha Baitas, qui l’avait alors accusé de “servir les intérêts” des institutions bancaires.

Mais il faut dire aussi que le Maroc fait l’objet de pressions de la part des institutions internationales, à commencer par le Fonds monétaire international (FMI) auprès duquel il avait contracté le 7 avril, au titre de la ligne de précaution et de liquidité (LPL) qu’il avait obtenue de sa part en décembre 2018, une dette de 2,97 milliards de dollars pour réduire les tensions sur ses réserves de change dues au choc de la Covid-19, en échange de quoi le Royaume doit s’astreindre à une rigueur budgétaire stricte. Et ces pressions s’ajoutent en plus à celles des agences de notation, qui n’ont déjà pas manqué au cours des derniers mois d’abaisser la note marocaine, avec comme conséquence de compromettre de futures sorties internationales au cas où le besoin en devises se ferait de nouveau sentir -Standard & Poor’s vient d’ailleurs, ce 2 octobre seulement, de baisser la perspective de cette note de stable à négative, moins de neuf jours après que Rabat eut émis avec succès un milliard d’euros d’obligations.

Le seul point d’accord entre M. Benchaâboun et ses détracteurs semble avoir trait au recrutement dans la fonction publique, qui devrait se limiter aux secteurs de la santé, de l’éducation et de la sécurité, mais tout en sachant que ces derniers s’accaparaient déjà, depuis 2017, 90% des recrutements, comme le rappelle le rapport préalable au budget. Au parlement le 28 septembre, le ministre avait indiqué que les deux premiers secteurs se verraient allouer 5 MMDH additionnels afin de respectivement ouvrir 1.500 et 2.000 postes budgétaires, en sus de 3,717 MMDH pour leurs dépenses de matériel et 1,378 MMDH pour leurs dépenses d’investissements. Les discussions autour du PLF promettent, en tout cas déjà, de ne pas être de tout repos.

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