Zefzafi persiste et signe

LE FEUILLETON DU HIRAK D'AL HOCEIMA SE POURSUIT

Le leader du Hirak d’Al Hoceima accuse la délégation des prisons de l’avoir fait torturer. Si le CNDH estime qu’il n’en est rien, sa famille appelle à un sit-in le 27 novembre à Rabat.

C’est à croire, presque, qu’il s’agit d’une telenovela turque, tellement les épisodes se succèdent depuis plus de trois ans dans le Hirak d’Al Hoceima et que les derniers rebondissements en date ne laissent pas présager de fin proche. Bien évidemment, la comparaison s’arrête là car les événements dont il est question sont autrement tragiques et réels. Ils ont été insoutenables pour beaucoup de Marocains, qui ont vu leur drapeau brûlé par une apprentie activiste à Paris, le 26 octobre 2019, et, spécifiquement pour les détenus du Hirak, ils ont de nouveau été synonymes de drame, puisque comme chacun sait les concernés se sont retrouvés dans l’oeil du cyclone suite à la publication par leur leader, Nasser Zefzafi, actuellement écroué dans la prison de Ras El Ma, dans la ville de Fès, d’un enregistrement accusant les autorités de l’avoir violé au cours de son arrestation, datant de fin mai 2017.

Mesures disciplinaires
La chose et l’autre sont d’ailleurs, pour rappel, liées puisque c’est en réaction au brûlage du drapeau marocain dans la capitale française que M. Zefzafi avait pris la parole pour condamner l’acte «terroriste », «humiliant» et «crapuleux» de la séparatiste rifaine Halima Zine et surtout s’en distancier, étant donné que c’est lors d’une marche de soutien au Hirak que celle-ci avait commis son forfait. Le concerné avait par la suite, consécutivement à la publication de son enregistrement, fait l’objet de mesures disciplinaires de la part de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR), qui l’avait transféré lui et quatre autres activistes également emprisonnés à Ras El Ma, à savoir Zakaria Adahchour, Nabil Ahamjik, Ouassim El Boustati et Samir Ighid, à divers établissements pénitentiaires et placé dans des cachots: les cinq sont, depuis, retournés à leurs cellules normales, alors que l’isolement devait en principe durer 45 jours, suite à l’intermédiation d’une «délégation officielle», comme révélé par le père de M. Zefzafi, Ahmed Zefzafi, le 12 novembre sur son profil sur le réseau social Facebook. Selon la DGAPR, dans une mise au point publiée le 1er novembre, les détenus en question ont violenté certains de leurs gardes après que l’un d’eux, dont l’identité n’a pas été révélée, se soit vu refuser l’autorisation d’appeler ses proches au téléphone alors que, poursuit la même source, il avait déjà usé de ce droit préalablement dans la journée.

Accusations de tortures
Toujours selon la délégation, lesdits gardes ont subi des examens médicaux au centre hospitalier universitaire Hassan- II et ont porté plainte auprès du parquet compétent. Sauf que l’association Tafra pour la solidarité et la fidélité, qui réunit les familles des détenus du Hirak et dont le président n’est autre qu’Ahmed Zefzafi, affirme que c’est les leurs qui auraient été victimes de brutalité et qu’ils auraient même subi des actes de torture; d’où le fait que le Conseil national des droits humains (CNDH) avait diligenté, les 7 et 8 novembre, une délégation dans les établissements sur lesquels les activistes punis avaient été répartis. Cinq jours plus tard, dans un communiqué, l’instance présidée par Amina Bouayach, si elle avait constaté «quelques ecchymoses sur les corps des deux détenus» suite à une altercation avec les gardes, avait toutefois souligné l’«absence» de torture. Une conclusion à laquelle ne veut aucunement souscrire Tafra, dont les membres ont annoncé qu’ils tiendraient, le 27 novembre, un sit-in devant le siège du CNDH dans la ville de Rabat. Sur sa page Facebook, l’association a mis en cause ce qu’elle a qualifié de «politique des oreilles sourdes» des parties officielles, «la déformation des faits» et «la dissimulation des pratiques de torture exercées» selon eux sur les détenus. Tafra avait, pour rappel, déjà manifesté le 8 novembre devant les locaux de la DGAPR, également situés dans la capitale, pour les mêmes raisons.

Pour sa part, M. Zefzafi a entamé, ce 19 novembre, une grève de la faim, qui est sa deuxième en moins de trois semaines seulement après celle qu’il avait menée contre les mesures disciplinaires prises à son encontre. La DGAPR, qui a révélé l’information dans un communiqué daté du même jour, a également indiqué que l’activiste avait déposé plainte à son encontre auprès du procureur du Roi près la cour d’appel de Fès car elle menacerait sa vie à l’intérieur et à l’extérieur de la prison. La DGAPR a qualifié cette accusation d’«allégations et de méthodes sur lesquelles elle a déjà attiré l’attention au parlement et dans ses précédents communiqués ». Selon elle, M. Zefzafi ainsi que les autres détenus auraient exigé que des non-membres de leurs familles puissent leur rendre visite, de pouvoir passer des appels téléphoniques plus longtemps que les autres prisonniers, de multiplier les repas, de disposer de légumes crus et de faire, à leur guise, leurs courses dès lors que le besoin se ferait ressentir. «Cette volonté est contraire à la loi et vise à bénéficier d’un traitement préférentiel,» s’est offusqué la DGAPR.

Cette dernière avait, au passage, également mis à l’index le CNDH pour avoir fait montre, suite à la visite de sa délégation et de son communiqué qui en avait découlé, de «mépris incompréhensible» à l’égard de ses employés, dans la mesure où elle n’aurait «mené aucune investigation en vue de s’assurer de l’étendue des dommages subis» par eux, après en avoir décousu avec les détenus.

"Un traitement préférentiel"
Il faut dire que l’implémentation du programme de développement spatial de la province d’Al Hoceima, lancé en octobre 2015 dans la ville de Tétouan et dont la non-réalisation fut une des causes directes du déclenchement du Hirak à partir d’octobre 2016, continue, et, dans ce sens, une convention avait été signée le 30 octobre 2019 pour mettre en place dans ce cadre une faculté pluridisciplinaire et une École nationale de commerce et de gestion (ENCG). Se trouvant sur place ce 16 novembre, la secrétaire générale du Parti socialiste unifié (PSU), Nabila Mounib, a lancé un «appel d’Al Hoceima» pour demander la libération de tous les détenus restant encore en prison afin de permettre de tourner définitivement la page. En tout état de cause, le feuilleton a assez duré...

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