Abdelmaksoud Rachdi, membre du CESE : "Il est essentiel de prévenir la mendicité en renforçant la résilience socio-économique des ménages"

Abdelmaksoud Rachdi est membre du CESE et rapporteur de l'avis "POUR UNE SOCIÉTÉ COHÉSIVE EXEMPTE DE MENDICITÉ", dont la rencontre de présentation des conclusions a eu lieu le 20 mars 2024. Dans cette interview accordé à Maroc Hebdo, M. Rachdi revient sur ce phénomène complexe qui prend de plus en plus d'ampleur au Maroc.


Abdelmaksoud Rachdi, rapporteur du dernier avis du CESE sur la mendicité au Maroc


Pourquoi, selon vous, les politiques publiques marocaines ont jusqu’ici été incapables de résorber le phénomène de la mendicité ?

Il est important de distinguer trois types de réponses au niveau des politiques publiques pour faire face au phénomène de mendicité. Le premier de nature préventive. De par leur nature fragmentée, leurs approches de ciblage et leurs modalités de mise en œuvre, les programmes sociaux existants ne parviennent pas à compenser de manière suffisante et pérenne, les effets néfastes de la pauvreté et la vulnérabilité sur les populations les plus exposées à la pratique de la mendicité. C’est notamment pour ces raisons et, suite aux Orientations Royales, que la réforme du système de protection sociale a été lancée et est en cours de déploiement.

La deuxième réponse concerne la prise en charge sociale. A ce niveau, il y a lieu de relever les moyens humains et matériels limités dont disposent les centres sociaux relevant de l’entraide nationale et le plan d'action national pour lutter contre l'exploitation des enfants à des fins de mendicité.

Et enfin, sur le plan des mesures répressives, l’incrimination de la mendicité et du vagabondage au niveau de la section V du Chapitre V du Code pénal se révèle peu effective et incohérente avec d’autres dispositions dudit Code ainsi qu’avec les normes internationales en vigueur.

Quelles sont vos préconisations afin de prévenir le phénomène de la mendicité à court et moyen terme ?

Le CESE préconise une stratégie articulée autour de quatre axes. En premier lieu, il est recommandé d’éradiquer toute forme de mendicité des enfants en renforçant les unités de protection de l'enfance (UPE), tout en durcissant les peines à l'égard des exploiteurs et trafiquants d'enfants dans la mendicité notamment les parents.

Deuxièmement, il faudrait assurer la protection des personnes vulnérables contre l’exploitation à des fins de mendicité en prévoyant des peines plus sévères pour les actes délictuels y afférents. Troisièmement, il s’agit de réhabiliter et de réinsérer les personnes pratiquant la mendicité pour des raisons de précarité réelle, notamment, en mettant fin à la pénalisation de la mendicité proprement dite et en proposant des alternatives viables à la mendicité, à travers le renforcement des politiques d’assistance sociale, le développement des activités génératrices de revenus et l’amélioration de la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques.

Enfin, il est essentiel de prévenir la mendicité en renforçant la résilience socio-économique des ménages par la lutte contre la pauvreté et les inégalités, et l'amélioration de l'accès aux soins, à l'éducation, à la formation et à l'emploi.

Dans quelle mesure la dépénalisation de la mendicité favoriserait-elle la lutte contre ce fléau qui nuit énormément à l’image du Maroc ?

D’abord, il est important de souligner la réelle difficulté à déterminer et mesurer la capacité de la personne à subvenir à ses besoins par les agents publics chargés de l’application du code pénal. De plus, les infractions criminelles, qu'elles soient individuelles ou collectives, associées à cette activité, sont déjà prises en compte dans de nombreuses dispositions du code pénal. Par ailleurs, l’analyse des données nationales disponibles ainsi que la comparaison internationale font état d’une faible propension de l’approche répressive à éliminer ou réduire la mendicité.

Tout cela nous a amenés à envisager une autre approche, qui sortirait « la mendicité proprement dite » du champ du code pénal, tout en veillant à maintenir la sanction des formes criminelles individuelles ou collectives sous couvert de cette pratique. Dans cette optique, nous recommandons, de punir sévèrement les actes criminels sous couvert de mendicité, conformément au Code pénal, particulièrement à l’égard des exploiteurs des femmes, personnes âgées et des personnes en situation de handicap.

Parallèlement, il faut renforcer les mesures portant sur la réhabilitation et la réinsertion des personnes en situation de mendicité. Par ailleurs, on préconise de confier la gestion des problématiques liées aux perturbations de l’espace public engendrées par les personnes qui mendient à la police administrative communale, conformément à la loi organique n°113-14 relative aux communes.

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