L'AUTRE MODÈLE DE DÉVELOPPEMENT...

Dysfonctionnements dans le projet de Taghazout Bay

Comment renforcer l’autorité de l’Etat pour qu’il ait les moyens effectifs de faire respecter les engagements conclus avec lui?

Ça recommence, ou plutôt ça continue donc! Voilà que le grand chantier de Taghazout Bay, près d’Agadir, témoigne de nouveau des insuffisances des politiques publiques. Il a fallu une visite royale in situ pour mettre à nu des défaillances, des irrégularité et des responsabilités à identifier. La colère du Souverain est salutaire, bien sûr; elle est devenue un mode supplémentaire de gouvernance, de recadrage et, le cas échéant, de sanctions. Trois opérateurs sont ainsi mis en cause, MADAEF, filiale de la CDG, et deux groupes, Sud Partners et Pick Albatros (Lire page 41). L’on ne peut que relever, pour commencer, la médiatisation particulière qui été faite à propos de l’implication de la CDG, qui a fait l’objet d’une «fuite» précipitée. La CDG a réagi d’ailleurs; elle a eu raison de le faire.

Cela dit, reste ce dossier. Pourquoi en est-on arrivés là? Les interprétations que l’on peut avancer à cet égard sont, pour l’heure, de divers ordre. En premier lieu, ceci: la mission de suivi et de contrôle n’a pas été assurée dans des conditions souhaitables et requises. Des cahiers de charges n’ont pas été respectés -coefficient d’occupation du sol, extensions, constructions sans autorisation.... Les uns et les autres ne pouvaient pas ne pas savoir tant il est vrai qu’il y a des plans visés, des dossiers techniques validés et disponibles.

C’est, en effet, en second lieu, un grand chantier royal et il a bénéficié, pense-ton, de toute l’attention requise. Alors? Preuve est faite que l’on a eu aujourd’hui une telle situation parce que le rendu, pourrait-on dire, a été autorisé de fait par suite d’une chaîne d’irrégularités couvertes par de nombreuses parties prenantes, à un titre ou un autre.

Pêle-mêle, c’est là une responsabilité collective du département de l’Habitat et de sa délégation régionale, des autorités de tutelle, de la municipalité, de la filiale de la CDG et sans doute encore d’autres organes... Des groupes privés étrangers n’ont pas hésité à profiter de cette aubaine créée sur place par de tels dysfonctionnements pour optimiser leurs investissements, le climat d’affaires autour de ce programme de Taghazout Bay étant tellement attractif...

Les leçons du programme «Manarat Al Moutawassit» d’Al Hoceima de 2015- 2016 n’ont donc pas été tirées. Elles sont en réplique au moins sur cet aspect: celui du décalage, voire du divorce, entre ce qui est décidé et validé formellement et ce qui est réellement réalisé sur le terrain. A-t-on donc affaire à une sorte de donnée structurelle contraignante qui finit par s’imposer et par reformater le projet initial? S’agit-il de baisser les bras et de céder à la résignation? En d’autres termes, ne peut-on pas escompter d’autre forme de gouvernance des politiques publiques qu’un tableau final de cette nature? Non, il y une autre voie, celle consacrée par la Constitution, à savoir la responsabilité corrélée à la reddition des comptes. Cela commande que les intérêts privés et leurs relais sous différentes formes -et avec bien des relais institutionnels et politiques- n’arrivent pas à imposer leur volonté et donc leur loi.

Qu’ils défendent leurs intérêts et leurs profits n’est pas illégitime. Mais sans que leur lobbying supplante l’intérêt général et ne respecte pas les engagements formels pris avec les pouvoirs publics. Ce qui conduit à cette dernière interrogation: comment renforcer et consolider l’autorité de l’Etat et oeuvrer pour qu’il ait les moyens effectifs de faire respecter les engagements conclus avec lui? Le risque est réel de voir un processus de fragmentation du statut et des pouvoirs de la puissance publique, suivant le «forcing» et le ruissellement d’intérêts privés autour de projets et de programmes.

L’hypothèse à redouter de plus en plus n’est pas virtuelle: celle d’un «Etat mou», gérant davantage des intérêts privés que tourné vers l’imposition et la mise en oeuvre de politiques publiques. Au moment où la Commission Benmoussa est attelée à une réflexion nationale sur un nouveau modèle de développement, il n’y a pas de place pour un «autre» modèle, repoussoir celui-là: celui de Taghazout Bay, qui vient d’être corrigé...

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