MASSACRE DE GAZA

Crimes de guerre et génocide?

Nous avons demandé à Me Mustapha Sehimi, politologue et juriste, un éclairage sur la qualification juridique des massacres perpétrés par l’armée israélienne à Gaza.


Les bombardements continus de l’armée israélienne sur Gaza interpellent fortement la communauté internationale. A ce jour, le bilan est le suivant: 10.328 morts dont 4.237 enfants, 1.719 femmes, 621 personnes âgées en plus de 25.000 blessés. Crimes de guerre? Génocide? Au regard du droit international, quelle qualification exacte donner à cette situation?

Il faut rappeler l’économie du droit des conflits armés applicable en la matière. Il repose sur la recherche d’un équilibre, si l’on ose dire, entre nécessité militaire et nécessité humanitaire. Le principe est le suivant: la protection des civils des attaques. Il ne supporte que deux exceptions. La première est celle d’un civil qui décide de prendre les armes et qui a décidé de participer directement aux hostilités: il perd le bénéfice du droit des conflits armés; il devient alors une cible légitime pour l’adversaire. La frontière est cependant délicate et souvent bien mince entre participation directe et indirecte aux hostilités.

Une famille gazaouie qui abrite des combattants ou des armements de Hamas participe-t-elle, directement ou indirectement, aux hostilités ? Même interrogation pour les bâtiments civils: ils ont qualité pour être protégés des attaques israéliennes sauf à préciser qu’ils peuvent à leur tour devenir des objectifs militaires lorsque leur usage civil est converti à des fins militaires par l’un des belligérants. Il faut ajouter qu’à Gaza cette situation a été établie avec le Hamas qui utilise des infrastructures civiles (écoles, hôpitaux, mosquées...) pour contraindre l’armée israélienne à la retenue...

Victimes directes et indirectes
La seconde exception regarde, elle, de manière indirecte les civils qui peuvent être les victimes “collatérales” de frappes visant des biens désignés comme objectifs militaires. Le droit des conflits armés a un fondement de principe, à savoir un référentiel ou à tout le moins une très forte aspiration humanitaire. Il n’interdit pas le phénomène des victimes par incidence mais il le tempère avec ce critère: celui de la stricte proportionnalité par rapport à l’avantage militaire visé ou obtenu. A Gaza, dont la densité de la population est l’une des plus fortes au monde avec Hong Kong et Singapour, l’on voit quotidiennement les conséquences dramatiques “collatérales” que les armes israéliennes provoquent. Le statut de la Cour pénale internationale de 1998 (articles 5 à 8 bis) érige en crimes de droit international quatre types de faits : crime de guerre, crime contre l’humanité, crime d’agression et de crime de génocide. Mais ces incriminations existaient depuis longtemps dans le droit international général.

Les crimes de guerre sont des violations graves du droit international humanitaire commises dans un conflit armé - on les appelait jadis “les lois et coutumes de la guerre”. Aujourd’hui, 1es définitions la plus complète est donnée par l’article 8 du statut de la CPI. L’on y relèvera notamment “l’homicide intentionnel » de personnes en responsabilité (article 8, § 2, n,i) et les attaques intentionnelles contre des civils ou des biens civils (article 8, § 2, b, i et ii). L’État d’Israël n’est pas partie au statut de la CPI -comme la Fédération de Russie, les États unis et d’autres.... Mais ce texte s’impose à elle pour deux raisons: d’une part, les dispositions de fond du statut ont été considérées comme l’expression du droit international coutumier par la jurisprudence du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY/, aff. IT 95 17/1 T, Furundzia, 10 décembre 1998; d’autre part, l’Autorité palestinienne a adhéré le 1er janvier 2015 au statut de la CPI et partant il est applicable sur tout le territoire de l’Autorité palestinienne (Gaza et Cisjordanie), l’armée israélienne y étant donc soumise. Les faits rapportés par les médias (bombardements d’immeubles civils, milliers de pertes en vies humaines dans ces immeubles de non-combattants, meurtres de civils ne participant pas aux combats,...) s’apparentent clairement à des crimes de guerre tels que définis à l’article 8, § 2, du statut de la CPI.

Un crime de droit international
Quant à la notion de génocide, elle n’est devenue sous cette appellation un crime de droit international qu’avec l’adoption de la Convention du 9 décembre 1948 “pour la prévention et la répression du crime de génocide”. Il désigne les faits “commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel” (Convention de 1948, article II). Il se caractérise par quoi? Par l’intention d’exterminer tout ou partie des membres d’un groupe qui ont pour point commun la nationalité, l’appartenance ethnique ou les convictions religieuses. On parle en droit de “dol spécial”-, une qualification de l’intention délictueuse de commettre l’infraction (le crime de génocide en l’espèce) et le fait d’avoir la volonté de parvenir à un résultat déterminé -en l’occurrence le déplacement des populations du Nord vers le Sud de Gaza et 1’élimination des dirigeants et des militants de Hamas.

A Gaza, les massacres s’apparentent à des crimes de guerre et à des crimes de génocide ce que les juristes appellent un “concours idéal d’infractions”: meurtre délibéré de non -combattants commis dans un conflit armé et une attaque généralisée contre une population civile en raison de sa nationalité palestinienne. Que décidera maintenant la communauté internationale? Des postures et des gesticulations couplées à une grande émotion: et après? La repriorisation de la question palestinienne dans la perspective d’un règlement durable pour le recouvrement des droits légitime du peuple palestinien.

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